Je suis une sage-femme noire, laissons les patients choisir pour leurs soins de proximité
Cette prise de paroles est parue dans le Huffpost le 18/08/2020.
Une personne qui passe la porte d’un hôpital pour se faire soigner ne devrait pas choisir son soignant. La personne qui le reçoit quelle que soit sa couleur de peau, son origine, sa religion, son genre, son apparence est apte à le soigner et cela devrait être suffisant. Mais il y a quelque chose d’autre qui se joue lorsqu’il s’agit de médecine de proximité, à visée plus quotidienne, plus ressourçante.
Le choix.
Je pense que c’est permettre à une personne en besoin de pouvoir “choisir” qui lui permettra de s’ouvrir aux autres, d’autant plus lorsque son besoin est lié à un soin pour sa santé “quotidienne”.
Je distingue bien ici un soin de proximité d’un soin d’urgence, d’une offre publique.
Dans ma promotion de sage-femme, j’étais la seule noire, je ne pouvais pas sécher les cours. Dans toutes les formations de yoga ou de médecines alternatives que j’ai suivies, j’étais la seule noire. Ce n’est pas anodin et cela colore notre pratique.
Durant les 5 ans pour mon diplôme de sage-femme, j’ai été amenée à faire plusieurs stages infirmiers. Je me souviens que dans un service d’urologie, une aide-soignante de l’équipe s’était plainte du comportement d’un patient. Par hasard, je l’avais ensuite accompagnée pour faire des soins assez urgents sur ce même patient. En nous voyant entrer, il s’était montré très agressif. “Je ne veux pas de noires, vous sortez de ma chambre. J’ai déjà dû la supporter une semaine entière (l’aide-soignante), je ne veux pas d’une noire en plus.”
En maternité, ma spécialité, l’environnement est plus joyeux, mais le racisme subtil existe aussi, car il est parfois difficile pour certaines collègues de s’adapter à des femmes de croyances ou d’origines différentes : une femme enceinte qui vit le ramadan osera plus en parler à une personne proche de sa communauté par exemple. D’ailleurs, nous avons au sein de la maternité de niveau 3 ou j’exerce, une gynécologue-obstétricienne qui est devenue ‘référente’ pour ces femmes.
Une personne qui passe la porte d’un hôpital pour se faire soigner ne devrait pas choisir son soignant. La personne qui le reçoit, quelle que soit sa couleur de peau, son origine, sa religion, son genre, son apparence est apte à le soigner et cela devrait être suffisant.
Mais il y a quelque chose d’autre qui se joue lorsqu’il s’agit de médecine de proximité, à visée plus quotidienne, plus ressourçante. Le choix d’un médecin, d’un soignant passe par beaucoup de choses, au-delà de la technique. La présence, les mots, l’histoire du soignant entrent en compte. N’avez-vous jamais changé de médecin à cause d’un détail, même insignifiant, qui vous dérangeait? N’êtes-vous jamais allé voir un médecin sur les conseils de vos proches, des réseaux sociaux qui vous avaient vanté son écoute, sa bienveillance, son ouverture d’esprit? Mesdames, préférez-vous aller voir une femme gynécologue plutôt qu’un homme tout aussi compétent? Chacun et chacune à sa grille de lecture pour choisir un médecin.
Il y a donc un écart à considérer, un pas de côté à faire entre les besoins d’une personne et la lutte contre le racisme. Les listes de soignants racisés existent et continueront d’exister malgré les interdictions. Car elles répondent à un besoin individuel plus profond. Lorsqu’une personne noire est à la recherche d’un médecin, d’un infirmier noir, il y a à l’aider. Je comprends la position de la LICRA qui craint le communautarisme, mais la question est ailleurs.
J’ai déjà eu une patiente juive qui me demandait conseil pour trouver un médecin de la même confession. Je l’ai aidée et j’ai compris sa demande. Je répondais à son besoin, c’est aussi de ma responsabilité qu’elle trouve un soignant avec lequel elle se sentira pleinement entendue. Cela ne veut pas dire que je ne reçois que des femmes noires. Loin de là. Pour mon activité libérale, je donne des cours de yoga pré et postnatal, depuis une petite dizaine d’années, seules cinq femmes noires y ont participé, c’est comme si elles pensent qu’elles n’ont pas le droit. Et celles qui osent venir se sentent tellement interpellées dans leur histoire, l’histoire de l’immigration au sein de leur famille, la place de la femme-mère noire en occident. C’est des accompagnements différents qui demandent un travail émotionnel important pour ces quelques femmes que j’ai accompagné… Le besoin de soin s’inscrit dans l’histoire personnelle et transgénérationnelle.
En tant que femme noire, je peux répondre aux besoins de certaines femmes noires grâce à mon parcours, mes compétences et aussi ce que j’ai compris et mis en place pour me sentir “noire, utile et à ma place”.
Avoir le choix d’un professionnel de santé, trouver la personne qui pourra le mieux répondre à ce besoin, c’est permettre aussi à ce patient.e de s’ouvrir aux autres. C’est permettre à cette personne de s’inscrire dans son histoire individuelle puis collective.
Ces concepts sont évoqués par Paul Ricœur ce philosophe qui évoque l’identité narrative, c’est dans ce même ordre d’idée que le psychiatre Boris Cyrulnik lui nous parle du ‘récit de soi’. J’aime bien cette phrase de lui pour conclure “Le récit SOI n’est pas le retour du réel passé, c’est ma représentation de ce réel passé qui nous permet de nous réidentifier et de chercher la place sociale qui nous convient.”
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